Fanchon s'en va.

Mise en garde: il y a du lourd et du léger ... bonne lecture.

-« Rha, mais elle s’est fait belle aujourd’hui, elle s’est rasée. » (rires hystéro gras)

- « Mais non, je me lave moi. » Balbutie une femme visiblement handicapée mentale.

- « Oh, tu ne vas pas nous faire croire ça, toi et l’hygiène hein ?! »

Scène de violence ordinaire à la terrasse d’un café où un encadrant (éducatrice, AMP, autre chose ? … une conne en tout cas.) s’adresse à une des personnes handicapées qu’elle encadre. Apparemment, aucun des autres membres accompagnants  n’y trouve à redire. On rigole bien, l’ambiance est bonne !!

Une fois passé le trouble de cette atteinte manifeste à la dignité de la personne, me voilà projeté dans 20, 30 et 40 ans. Parce que le devenir de Fanchon sera vraisemblablement très proche de cette femme. Et encore, dans le meilleur des cas. Beaucoup d’interrogations demeurent :  Sera-t-elle un jour autonome ? (j’en doute fort) Sera-t-elle propre ? (on peut y croire)  Fera-t-elle toujours autant de crises d’épilepsie aussi handicapante? (c’est bien parti pour) Sera-t-elle toujours autant parasitée par ses stéréotypies ? (y’a pas de raison) Et puis tant qu’on y est … sera-t-elle heureuse ? (on fait tout pour) Aura-t-elle des conditions de vie digne, et si ce n’est pas le cas, est-ce vraiment une vie ? (Joker)

Je me souviens d’un témoignage d’un père de deux enfants handicapés qui disait en substance que sa pire angoisse était que ses enfants lui survivent.  A l’époque, je comprenais déjà ce point de vue mais maintenant, c’est plus qu’évident. La lucidité impose à penser qu’après nous, personne ne pourra donner autant d’attention, personne n’aura autant de patience, personne ne pourra donner autant d’amour à nos enfants cassés. Une vie dédiée au suivi et à l’adaptation que demande le handicap et la maladie chronique évolutive. Une vie dédiée à la compréhension de notre fille. Chaque mimique, chaque posture, chaque son, en bref, son langage corporel connu de nous seul, les cliniques des crises d’épilepsie, leur tolérance … quand nous serons plus là, il n’y aura plus de traducteurs et pas de pierre de Rosette non plus ! Elle sera alors bien seule notre Fanchon.

… pas si seule en fait, puisqu’elle aura toujours avec elle ... son retard mental sévère.

Elle dépendra juste d’un tel ou d’une telle qui, en fonction de son degré de bonne humeur, sera disposé à essayer de la comprendre ou à s’en foutre royalement. Ou la maltraiter, ce qui reste aussi une option. (se référer plus haut)

Alors tout bien pesé, OUI ... on en vient à penser comme ce père de famille. Préférer vivre le deuil de son enfant plutôt que de le savoir à la merci d’une société qui ne leur offre pas toutes les garanties d’une prise en charge de qualité.

Tout juste pourra-t-on se consoler d'avoir fait le travail jusqu'au bout.

Lointain souvenir

« Mais qu’est-ce que vous êtes courageuse ! »

« Parfois, j’en ai marre d’être courageuse »

Sans transition et plus léger.

Babibel, la blague estivale.

Voilà la perle de l’été 2012. On la doit au service markéting BEL concernant son peu gouteux fromage Mini Babibel. Il a dû tirer sur la languette de son cerveau (probablement aussi compressé que son produit) le commercial qui a pondu ce magnifique slogan :

« Avec Babibel, passez des vacances de malade mental !! »

Tollé des associations bien sûr !

Mais revenons en arrière, ce fameux lundi matin au QG de BEL ou les grandes décisions marketing sont prises. J’ai réussi à me procurer les bandes sonores de la réunion.

«  Bon les gars ! Je vous ai réuni car les ventes de mini Babibel s’essoufflent un peu, il va falloir relancer un petit peu la gamme. Les chiffres sont moins bons depuis le printemps, on se doit de faire de la com’ sur le produit. Donc, je veux un truc accrocheur, punchi, qui envoie du bois quoi !! Alors j’écoute vos propositions, allez-y.

…

Oui Bernard ?! … «  Avec Babibel, passez des vacances sympa »  …. Mouaiis, on l’a fait en 1975 celle là ? Une autre peut être ?

Kevina oui ?! « Avec Babibel, passez des vacances qui déchirent ça race. » Arrrf, un peu trop ciblé. Allez les gars quoi ... autre chose ?

Christian « Avec Babibel, passez des vacances de cancéreux en phase terminale » Original, je comprends le concept, le message … ce sont les dernières, les vacances seront intenses, inoubliables. Mais bon, je rappelle qu’on essaie de vendre du fromage à des gamins. Aller quoi, envoyez moi une bonne idée …

Oui, Jean Pierre je t’écoute «  Avec Babibel, passez des vacances de malade mental ! » Ah, ba ça sonne bien ça ! C’est court, c’est frais, ça veut dire c’que ça veut dire. C’est ce qui nous faut quoi !! Bon aller, fin de la réunion, 10 minutes c’est déjà de trop. On va à la cafète, c’est ma tournée ! Mais avant, je vous laisse … je dois aller me repoudrer le nez !

Ils sont forts nos amis de chez ^^la vache qui ricane^^

Toujours sans transition.

Fanchon s’en va … oui … chaque matin, à l’IME depuis début septembre. 

Et c’est quand même quelque chose. On s’est battu comme des chiens pour avoir sa place. Nous étions de toutes les réunions, commissions et j’en passe. On les a toutes faites. Et voilà que l’on nous annonce que Fanchon à sa place en IME.

Improbable, tellement on nous avait rabâché de prévoir un plan B. Qu’on en prenait au moins pour 2 années d’attente avant d’avoir une place. Mais les premiers pas au sein de la structure spécialisée n’ont pas été des plus simples. Il a fallu que l’on mette les choses au clair avec l’équipe dirigeante, et ça été par moment plus que rock and roll. Au point même que l’on s’est posé la question de savoir si l’on avait fait le bon choix pour Fanchon. Les choses se sont apaisées avec les vacances et il était grand temps qu’elles arrivent celles-là.  Maintenant, tout reste à construire avec les équipes de l’IME. Que l’eau coule un peu sous les ponts et que Fanchon fasse sa place. 

Qu’on lui laisse faire sa place.


Et n'oublions pas le petit frère Milo qui pousse à la vitesse de l'éclair ! Pour lui Fanchon n'est pas comme les autres, c'est certain. Mais il s'en accommode. Il ne la ménage pas. Parfois, on freine un peu ses ardeurs. Le but pour nous concernant Milo: le préserver, lui rendre du temps, de la patience, de l'écoute ... bref, lui rendre la pareille quoi. Parce qu'il doit voler, et voler vite de ses propres ailes. Il n'en sera que mieux.